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Presse : analyse de la « macchina del fango »


Drapeau-Francais
Le phénomène le plus courant dans la presse italienne reste le discrédit voire la diffamation. Ce procédé commença le 28 août 2009 avec un épisode que nous appellerons La méthode Boffo. Ce jour-là, le quotidien « Il Giornale » de la plume de son directeur Vittorio Feltri, incriminait en première page dans un article intitulé Le super-moraliste condamné pour harcèlement, Dino Boffo, alors directeur du journal catholique « L’Avvenire ». En effet, Feltri l’accusa publiquement d’avoir harcelé téléphoniquement une femme pour qu’elle quitte son mari avec lequel il aurait une relation, comme nous pouvons le lire dans le chapeau de l’article*. Le journaliste fondait alors ses accusations en publiant un extrait du casier judiciaire de Boffo, lequel a été condamné en 2004 pour harcèlement téléphonique, selon l’article 660 du code pénal. Cette condamnation était bien réelle mais le contexte reste inconnu donc ses accusations d’homosexualité sont infondées. Le but recherché par Feltri était de discréditer celui qui, durant les mois précédents menait une sévère croisade contre les scandales sexuels de Berlusconi. Par conséquent, Boffo démissionna.

Entre 2010 et 2011, l’auteur du best-seller Gomorra, Roberto Saviano a étudié cette méthode, que lui nomme la macchina del fango (la machine à éclabousser, à diffamer). Il étudie et dénonce certes ce mécanisme mais en fait également l’objet, principalement depuis son émission Vieni via con me avec Fabio Fazio qui passait sur Rai 3. Dès le premier épisode de l’émission, Saviano donne justement une définition de la macchina del fango : une attaque qui part de faits minuscules de ta vie privée, qui sont utilisés contre toi. Ce système veut dire : nous avons tous les ongles sales, nous sommes tous égaux. Pour le contrer, il faut savoir regarder les différences. Ses monologues connurent une audience hors du commun. Dès le lendemain de la première émission, sur les quotidiens du 9 novembre 2010 la performance du trio Saviano-Fazio-Benigni (invité) fut saluée sur les journaux de gauche comme « Il Fatto Quotidiano » qui retient cette splendide séquence où Saviano clôture son oraison civile avec le drapeau italien à la main pour rappeler que l’unité italienne n’est pas née d’un pacte entre nobles mais bien d’un rêve, rêve retransmis aujourd’hui par de merveilleux acteurs et sur le « Corriere della Sera ». D’ailleurs pour prouver à quel point cette émission peut avoir de l’impact sur la société, Renato Franco en page 9 du « Corriere » la définie comme le programme le plus craint par les dirigeants de la Rai. La crainte est celle de clôturer le programme. Et comme Saviano dénonce, le pool journalistique de droite « Giornale » et « Libero » en tête tentent de retourner ses dénonciations contre lui-même. « Il Giornale » plaça au centre de sa première page un photo-montage des 3 protagonistes de la soirée, pour ficher l’ennemi public. Accolé à la photo de Fazio, Saviano et Benigni, un titre assez prévisible : Révolutionnaires snob (et sans peuple). Une façon de dire que leur démarche n’a aucun poids sur la société. Au final, « Il Giornale » tente de prendre en otage l’opinion publique pour préserver l’image du gouvernement. Même combat sur « Libero » avec en première page à une caricature de Benny représentant Saviano en train de lancer un seau de boue sur les Italiens, avec pour légende le gros titre : Saviano jette de la boue sur Silvio et de l’ennui sur le public. À travers le second titre : Roberto tire sur le gouvernement et Benigni débarque, nous avons là clairement un champ lexical lié à la guerre. Ainsi s’opère une victimisation des incriminés durant Vieni via con me. C’est aux pages 14-15 que Francesco Borgonovo met en évidence le point de vue de Saviano : Robertino a déclamé son discours en comparant l’activité des journalistes qui ne haïssent pas le Cav à celle des mafieux qui tuent les juges. Cette déclaration s’articule en deux temps. Tout d’abord il appelle Roberto, Robertino, une familiarité qui est loin d’être amicale. Puis en parlant des journalistes philo-centre-droit, il sous-entend indirectement que les autres journalistes haïssent le Cav et donc crée deux factions opposés qui engendre l’habituel conflit pro ou anti Berlusconi. Enfin, il reprend l’explication du mécanisme de la diffamation qu’a donné Saviano pour en détourner le fond :

Discréditer le rival aux yeux de l’opinion publique, tenter de le rendre nu en racontant des histoires sur lui, décrire des comportements intimes pour le mettre en difficulté, de telle sorte à ce que les gens quand ils le voient apparaître en public puissent garder à l’esprit les images racontées et ne lui accorder aucun crédit’. Sacrebleu ! Saviano a illustré en détails la stratégie avec laquelle ‘Repubblica’ (mais aussi, plus récemment ‘Il Fatto Quotidiano’, Michele Santoro et toute la compagnie joueuse de pipeau) à chercher à abattre le Cavaliere.

C’est exactement le même schéma qu’on retrouvera sur les quotidiens du 18 novembre suite à un épisode sur la ‘Ndrangheta au Nord. Saviano accusait alors le Nord et la ville de Milan en particulier, d’être infiltrés par l’organisation criminelle calabraise. Milan étant le fief de Berlusconi, il est donc intéressant de voir comment cette accusation a été traitée sur les journaux affiliés au centre-droit puisque ceux positionnés à gauche ont fait un gros plan sur un Nord obscur mis à nu. Au même moment où Maroni fait arrêter le chef du clan des Casalesi, Saviano met en garde contre le fait que ce soit dans les planques des mafieux que se décide le destin du Pays. Et poursuit en expliquant que c’est dans le Nord que les organisations criminelles et particulièrement la ‘Ndrangheta, font leurs affaires. Par conséquent, « Il Giornale » lança une sorte de pétition contre Saviano qui traite le Nord de mafieux. La photo de la première page est inévitablement un portrait de Saviano. Ainsi Feltri créa le groupe nonsonomafioso auquel les lecteurs peuvent adhérer sur un simple envoi de mail avec ses coordonnées. Dans son éditorial, Feltri dénigre le succès toujours plus grandissant de l’émission en qualifiant les monologues de blablatteries et en remettant en question le nombre de téléspectateurs estimés à un million. Par ailleurs, « La Padania » se rebella quand Saviano compara Maroni au boss Sandokan. Alors, Giacomo Stucchi aux pages 8-9 n’hésita pas à qualifier Saviano de marionnette de la gauche. Le fond de l’article est le fait que, selon le journaliste, la minorité en n’ayant ni idée ni visages présentables à montrer en public, réussisse seulement à utiliser un écrivain de succès. Il reproche à l’émission de faire un peu trop de politique et surtout une politique à sens unique visant exclusivement le Gouvernement et les forces qui le composent. Sur « Libero » en revanche on parle du petit club de Rai 3 qui horrifie même les collègues de travail. Le tout accompagné d’une caricature du gang Rai 3 couvert de sang². Cette logique de la pars destruens veut créer un anti-héros.

* Dino Boffo, à la tête du journal des évêques italiens et engagé dans la campagne de presse ouverte contre les péchés du Premier, intimidait la femme de l’homme avec lequel il entretenait une relation.
² L’émission a été championne d’audience en 2010 mais elle n’a pas été reconduite sur la Rai. Elle reviendra à l’écran lors du printemps 2012.

Copyright Azzurra Média-Communication

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